litbaza книги онлайнРазная литератураТом 3. Стихотворения 1827-1836 - Александр Сергеевич Пушкин

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huit ans il fut enlevé par des Tchingénehs ou Bohémiens. Ces gens le menèrent en Bosnie, où ils lui apprirent leurs tours et le convertirent sans peine à l'islamisme, qu'ils professent pour la plupart[17]. Un ayan ou maire de Livno le tira de leurs mains et le prit à son service, ou il passa quelques années.

Il avait quinze ans, quand un moine catholique réussit à le convertir au christianisme, au risque de se faire empaler s'il était découvert; car les Turcs n'encouragent point les travaux des missionnaires. Le jeune Hyacinthe n'eut pas de peine à se décider à quitter un maître assez dur, comme sont la plupart des Bosniaques; mais, en se sauvant de sa maison, il voulut tirer vengeance de ses mauvais traitements. Profitant d'une nuit orageuse, il sortit de Livno, emportant une pelisse et le sabre de son maître, avec quelques sequins qu'il put dérober. Le moine, qui l'avait rebaptisé, l'accompagna dans sa fuite, que peutêtre il avait conseillée.

De Livno à Scign en Dalmatie il n'y a qu'une douzaine de lieuers. Les fugitifs s'y trouvèrent bientôt sous la protection du gouvernement vénitien et à l'abri des poursuites de l'ayan. Ce fut dans cette ville que Maglanovich fit sa première chanson: il célébra sa fuite dans une ballade, qui trouva quelques admirateurs et qui commença sa réputation[18].

Mais il était sans ressources d'ailleurs pour subsister, et la nature lui avait donné peu de goût pour le travail. Grâce à l'hospitalité morlaque, il vécut quelque temps de la charité des habitants des campagnes, payant son écot en chantant sur la guzla quelque vieille romance qu'il savait, par coeur. Bientôt il en composa lui-même pour des mariages et des enterrements, et sut si bien se rendre nécessaire, qu'il n'y avait pas de bonne fête si Maglanovich et sa guzla n'en étaient pas.

Il vivait ainsi dans les environs de Scign, se souciant fort peu de ses parents, dont il ignore encore le destin, car il n'a jamais été à Zuonigrad depuis son enlèvement.

A vingt-cinq ans c'était un beau jeune homme, fort, adroit, bon chasseur et de plus poète et musicien célèbre; il était bien vu de tout le monde, et surtout des jeunes filles. Celle qu'il préférait se nommait Marie et était fille d'un riche morlaque, nommé Zlarinovich. Il gagna facilement son affection et, suivant la coutume, il l'enléva. Il avait pour rival une espèce de seigneur du pays, nommé Uglian, lequel eut connaissance de l'enlèvement projeté. Dans les moeurs illyriennes l'amant dédaigné se console facilement et n'en fait pas plus mauvaise mine à son rival heureux; mais cet Uglian s'avisa d'être jaloux et voulut mettre obstacle au bonheur de Maglanovich. La nuit de l'enlèvement, il parut accompagné de deux de ses domestiques, au moment où Marie était déjà montée sur un cheval et prête à suivre son amant. Uglian leur cria de s'arrêter d'une voix menaçante. Les deux rivaux étaient armés suivant l'usage. Maglanovich tira le premier et tua le seigneur Uglian. S'il avait eu une famille, elle aurait épousé sa querelle, et il n'aurait pas quitté le pays pour si peu de chose; mais il était sans parents pour l'aider, et il restait seul exposé à la vengeance de toute la famille du mort. Il prit son parti promptement et s'enfuit avec sa femme dans les montagnes, où il s'associa avec des heyduques[19].

Il vécut longtemps avec eux, et même il fut blessé au visage dans une escarmouche avec les pandours[20]. Enfin, ayant gagné quelque argent d'une manière assez peu honnête, je crois, il quitta les montagnes, acheta des bestiaux et vint s'établir dans le Kotar avec sa femme et quelques enfants. Sa maison est près de Smocovich, sur le bord d'une petite rivière ou d'un torrent, qui se jette dans le lac de Vrana. Sa femme et ses enfants s'occupent de leurs vaches et de leur petite ferme; mais lui est toujours en voyage; souvent il va voir ses anciens amis les heyduques, sans toutefois prendre part à leur dangereux métier.

Je l'ai vu à Zara pour la première fois en 1816. Je parlais alors très facilement l'illyrique, et je désirais beaucoup entendre un poète en réputation. Mon ami, l'estimable voivode Nicolas***, avait rencontré à Biograd, où il demeure, Hyacinthe Maglanovich, qu'il connaissait déjà, et sachant qu'il allait à Zara, il lui donna une lettre pour moi. Il me disait que, si je voulais tirer quelque chose du joueur de guzla, il fallait le faire boire; car il ne se sentait inspiré que lorsqu'il était à peu près ivre.

Hyacinthe avait alors près de soixante ans. C'est un grand homme, vert et robuste pour son âge, les épaules larges et le cou remarquablement gros; sa figure est prodigieusement basanée; ses yeux sont petits et un peu relevés du coin; son nez aquilin, assez enflammé par l'usage des liqueurs fortes, sa longue moustache blanche et ses gros sourcils noirs forment un ensemble que l'on oublie difficilement quand on l'a vu une fois. Ajoutez à cela une longue cicatrice qu'il porte sur le sourcil et sur une partie de la joue. Il est très extraordinaire qu'il n'ait pas perdu l'oeil en recevant cette blessure. Sa tête était rasée, suivant l'usage presque général, et il portait un bonnet d'agneau noir: ses vêtements étaient assez vieux, mais encore très propres.

En entrant dans ma chambre, il me donna la lettre du voivode et s'assit sans cérémonie. Quand j'eus fini de lire: vous parlez donc l'illyrique, me dit-il d'un air de doute assez méprisant. Je lui répondis sur-le-champ dans cette langue que je l'entendais assez bien pour pouvoir apprécier ses chansons, qui m'avaient été extrèmement vantées. Bien, bien, dit-il: mais j'ai faim et soif: je chanterai quand je serai rassasié. Nous dinâmes ensemble. Il me semblait qu'il avait jeûné quatre jours au moins, tant il mangeait avec avidité. Suivant l'avis du voivode, j'eus soin de le faire boire, et mes amis, qui étaient venus nous tenir compagnie sur le bruil de son

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