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Et tout cela, comme il le dit, pour faire une description exacte. Ses projets, qu'il expose au début de son œuvre, étaient très ambitieux. Fier de ce que «premier feray conte» sur les fêtes (str. 5) il se propose de raconter
Pourtant nous ne trouverons pas dans son œuvre tout ce qu'il voulait y décrire, loin de là. Ni salles de festins, ni atours féminins, ni manières, si soigneusement énumérés.
Des festivités, il ne retient presque exclusivement que les duels sur la lice. En outre ce ne sont pas les combats ni leurs résultats qui l'intéressent surtout. Bien souvent il ignore l'issue des engagements car pour lui c'est autre chose qui est important. Il aurait pu connaître les résultats des duels par des notes ou des témoignages, mais il néglige tout cela et ne trouve même pas nécessaire de s'excuser et de se justifier du fait qu'il ne sait ou ne se rappelle pas qui a obtenu le rubis et qui le brillant. En revanche, il présente chaque fois ses excuses ou une justification quand il ne sait ou ne se rappelle pas ce qui pour lui est le plus important: les noms des participants engagés dans le duel, leurs armes, les timbres avec les différentes figures symboliques, et la couleur des caparaçons. Ainsi quand il ignore la couleur du caparaçon du comte de Tancarville, il dit:
Incapable de décrire en détail le timbre du seigneur de la Pous-sonière, il se justifie à nouveau:
Il fait ainsi allusion au fait qu'il n'était pas encore à Saumur. Et quant à Guillaume Goffier, il ne connaît ni la couleur du caparaçon (houssure) ni le timbre. Cas exceptionnel qui a une cause aussi exceptionnelle:
Ainsi c'est au catalogue presque protocolaire des noms des participants, des écus, de la couleur des caparaçons et des figures des timbres, que se limite la commande. Et son but est parfaitement clair: imprimer dans la mémoire de la postérité les hauts faits des vaillants chevaliers:
C'est là que se trouve le sens de toute la littérature de chevalerie, qui avait pour mission d'assurer à ses héros une immortalité terrestre.
Il n'était d'ailleurs pas si important pour un chevalier de remporter la victoire ou d'être vaincu. L'honneur, la valeur la plus haute de la chevalerie, qui se cristallise à la fin du Moyen Âge, ne dépendait pas du succès, mais de la vaillance et de la vertu.
À ce propos Antoine de la Salle, un des juges de la joute de Saumur, donne par la bouche de l'héroiine de son roman le Petit Jehan de Saintré, ces instructions: «Pensez de bien faire et vertueusement perdez ou gaignez honnorablement, car quoy que de vous ad-viengne à ung tel et sy puissant homme, vous n'y povez avoir que honneur». Aussi l'auteur du Pas de Saumur, ne trouve-t-il pas, semble-t-il, nécessaire d'expliquer qui est sorti vainqueur de chaque duel, car ce n'était pas tant la victoire qui avait du prix que la vaillance et l'honneur.
Mais si l'indication des noms de tous les participants était la condition sine qua non d'une telle description et si l'auteur suit ici une ancienne tradition, la description des armes sur les écus, des caparaçons et surtout des timbres, était vraisemblablement une exigence particulière du roi René. De fait celui-ci accordait une très grande importance aux armes et aux timbres, à la différence des autres organisateurs de tournois et de joutes. A. de la Salle y fait allusion dans son ouvrage «Des anciens tournois et faicts d'armes», qui rappelle la joute organisée par le roi René en 1445 à Nancy à l'occasion du départ pour l'Angleterre de sa fille Marguerite. Le roi ordonna alors de faire savoir par des hérauts que tous ceux qui désiraient prendre part à la compétition devaient obligatoirement avoir sur leur heaume les timbres convenables et aussi des lambrequins et des écus avec leurs armes. Cette exigence ne se généralisa pas dans les tournois et les joutes, et La Salle remarque donc que:
«Et ce fist-il, pour eux josnes et simples gentilshommes recorder leurs haichemens et blasons d'armes, par leurs simplesses oublyez. Et car nul ne devoit jouster, se il n'avoit son haichement sur son heaume, et son escu couvert de ses armes, furent plusieurs bien nobles hommes de ce royaume, qui à moy vinrent, se je savoye quelz armes ils portoient, dont l'un… me dist: “ha, mon père, se vous ne me secourez, je suis empeschierz, car vous savez que on ne peust jouster, qui n'a son tymbre sur son chief et son escu de ses armes, et par ma foi, je ne le sçay pas bien”».
Aussi a-t-on d'assez bonnes raisons de supposer que si l'auteur reçut la commande de composer pour le roi René une description poétique de la joute, il lui fut indiqué précisément ce qui devait être représenté. Voilà pourquoi la description des armes, des caparaçons, et des timbres tient une place si essentielle. Mais de qui reçut-il cette commande? Car, dit-il, il ne connaissait aucune des personnalités.