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«Il est malade, écoute, il va mourir, il faut bien que tu sois là. Tu représentes l’Espagne, tout de même».
«Bon, bon, allons le voir».
Il apportait avec lui une immense quantité de médicaments, de nourriture, de cigarettes, de vêtements chauds. Il avait fait les choses bien royalement, mon bon Augustin.
Le malade le reconnut, lui sourit même. Ses camarades étaient là, taciturnes et hostiles. Ils regardaient de Foxà avec un regard de mépris haineux.
De Foxà resta deux jours, puis il rentra à Helsinki. Avant de monter dans le traîneau, il me dit:
«Pourquoi te mêles-tu de choses qui ne te regardent pas? Quand est-ce que tu comprendra de me laisser tranquille? Tu n’es pas espagnol, tout de même. Laisse moi tranquille, tu comprends?»
«Adios, Augustin».
«Adios, Malaparte».
Trois jours après le malade mourut. Le Général me dit:
«Je pourrai le faire ensevelir tout simplement» dit-il, «mais je pense qu’il serait mieux d’avertir de Foxà. Cet homme est espagnol. Qu’en pensez-vous?»
«Oui, je pense qu’il faut avertir. C’est un geste de politesse».
Et je télégrafai à de Foxà: «Malade vient mourir viens vite il faut l’enterrer». Deux jours après de Foxà arrivait. Il était furieux.
«Veux-tu finir de m’embêter?» me cria-t-il dès qu’il me vit, «de quoi te mêlestu? Tu veux donc me faire devenir fou? Naturellement, si tu me dis que le type est mort qu’il faut l’enterrer, et que je dois être présent; naturellement il m’est impossible de ne pas venir. Mais si tu ne m’avais pas averti, hein? je ne vais pas le resusciter, avec ma présence».
«Non, mais tu es l’Espagne. On ne peut pas l’enterrer comme un chien, dans ce bois, loin de son pays, de l’Espagne. Au moins, si tu es là, c’est tout diférent, tu comprends? C’est comme si toute l’Espagne était là».
«Naturellement, je comprends» dit de Foxà, «c’est pour cela que je suis venu. Mais, tout de même, pourquoi te mêles-tu de ces histoires? Tu n’es pas espagnol, vàlgame Dios!»
«Il faut l’enterrer gentilment, Augustin. C’est pour cela que je t’ai averti».
«Oui, je sais. Bon, bon, n’en parlons plus. Où est le mort?»
Nous allâmes voir le pauvre enfant mort, que ses camarades veillaient dans la petite baraque où on l’avait déposé. Les prisonniers espagnols regardérent de Foxà d’un air sombre, presque menaçant».
«Nous l’enterrerons» dit de Foxà, «suivant le rite catholique. Les Espagnols sont catholiques. Je veux qu’il soit enterré comme un vrai, comme un bon espagnol».
«Nous ne permettrons pas cela» dit l’un des prisonniers, «notre camarade était athée, comme nous tous. Il faut respecter ses opinions. Nous ne permettrons pas qu’il soit enterré suivant le rite catholique».
«Je représente l’Espagne, ici, ce mort est espagnol, un citoyen espagnol, je l’enterrerai suivant le rite catholique. Vous me comprenez».
«Non, nous ne vous comprenons pas».
«Je suis le Ministre d’Espagne, je ferai mon devoir. Si vous ne comprenez pas, cela m’est indiférent».
Et de Foxà s’en alla.
«Mon cher Augustin» lui dis-je, «le Général Edqvist est un gentilhomme. Il n’aimera pas que tu forces les opinions d’un mort. Les Finlandais sont des hommes libres, ils ne comprendront pas ton geste. Il faut chercher un compromis».
«Oui, mais je suis le Ministre de Franco, je ne peux pas, tout de même enterrer un espagnol sans le rite catholique. Ah, pourquoi ne l’avez-vous pas enterré sans moi? Tu vois, tu vois ce que tu as fait, avec ta manie de te mêler des choses qui ne te regardent pas?»
«Bon, bon, ne t’inquiète pas, on fera les choses pour le mieux».
Nous nous rendîmes chez le Général.
«Évidemment» dit le Général Edqvist, «si le mort était athée, comme il était communiste, on ne peut pas l’enterrer suivant le rite catholique. Je comprends, vous êtes le Ministre d’Espagne, et vous ne pouvez pas…»
Je proposai de faire venir le prêtre catholique italien de Helsinki, le seul prêtre catholique qui fût à Helsinki. (A Helsinki il y avait aussi l’Évêque catholique, un hollandais, mais on ne pouvait pas faire venir l’Évêque). On télégraphia donc au prêtre catholique. Deux jours après le prêtre arriva. Il comprit la situation, et il arragea les choses pour le mieux. C’était un prêtre de la haute Lombardie, un montagnard, très simple, très fin, très pur.
Le jour après eut lieu l’enterrement. La bière était portée par quatre de ses camarades. Un drapeau de l’Espagne de Franco était déposé au fond de la fosse, creusée à la dynamite dans la terre glacée. Une section de soldats finlandais était rangée sur un côte de la fosse, dans le petite cimitiére de guerre finlandais dans une clairière dans le bois. La neige luisait doucement dans la faible lueur du jour. La bière était suivie par le Ministre de Foxà, par le Général Edqvist, par moi, et par les prisonniers rouges, et par quel-ques soldats finlandais. Le prêtre se tenait à cinquante pas de la fosse, vêtu de son étole, son livre de prières dans la main. Ses lèvres remuaient en silence, il disait les prières des morts: mais à l’écart, pour ne pas violer les opinions du mort. Quand la bière fut descendue dans la fosse, les soldats finlandais, tous protestants, déchargèrent leurs fusils en l’air. Le Général Edqvist, moi, les officiers et soldats finlandais saluèrent portant la main au calot. Le Ministre de Foxà salua tendant le bras, à la fasciste. Et les camarades du mort levèrent le bras, le poing fermé. Le jour après de Foxà repartit. Avant de s’asseoir dans le traîneau, il me prit à l’écart, et me dit:
«Je te remercie de tout ce que tu as fait. Tu as été très gentil. Excuse-moi si je t’ai un peu engueulé, mais tu comprends… Tu te mêles toujours de choses qui ne te regardent pas!»
Quelques jours passèrent. Les prisonniers rouges attendaient toujours la réponse de Madrid qui ne venait pas. Le Général Edqvist était un peu nerveux. «Vous comprenez» me disait-il, «je ne peux pas garder éternellement ces prisonniers ici. Il faut décider quelque chose. Ou bien c’est l’Espagne qui les réclame, ou bien il faudra que je les envoie dans un camp. Leur situation est délicate. Il vaut mieux les garder ici. Mais je ne peux pas les garder éternellement». «Ayez encore un peu de patience, la réponse arrivera sans doute».