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J’ai frémi en travaillant cette idée. C’est un métier horrible que celui de raisonner de sang froid sur la manière la plus meurtrière de massacrer ses semblables! Aussi le Ciel m’est témoin que Vous êtes le seul à qui j’eusse pu faire part de cette affreuse invention. Votre cœur est sensible et juste; Vous ne pouvez faire la guerre que forcé par la nécessité; et dans une cause juste les armes les plus meurtrières sont les plus salutaires; voilà ce qui me rassure contre les reproches que je me suis fait cent fois.
Je n’ai reçu que depuis peu la nouvelle qu’on pourra en Allemagne me fournir les 2 télescopes pour le télégraphe. On y manque absolument de flintglas pour de grands objectifs achromatiques. Les télégraphes eux-mêmes sont commencés dès lors.
Êtes-Vous fâché, mécontent de moi? Mes travaux et mes lettres depuis mon dernier voyage sont restés sans effet; Vous n’avez pas même donné le rescript en faveur de la pauvre veuve Roth qui se consume de chagrin. Je Vous ai persuadé de la justice de ce rescript qui consiste simplement à déclarer que la pension que Vous lui avez accordée est pour sa subsistance et l’éducation de ses enfants et qu’aucun créancier de son mari ne peut y prétendre. Elle n’a pas fait de dettes, et cependant elle a donné tout ce qu’elle avait, sa propre terre et ses meubles pour satisfaire les créanciers; Vous lui avez accordé la pension plus d’un an après qu’elle avait fait tous ces sacrifices, et cependant on y a mis arrêt! Donnez ce rescript par justice et par pitié.
Vous faites refondre la monnaie de cuivre! Vous y perdez 8 à 10 p. C. sur la masse, presque autant en frais, et 25 p. C. de transport pour l’allée et la venue des monnaies. Où sera le gain par tant de perte? Et quand aurons-nous assez de cuivre en circulation?
Adieu, mon Bien-Aimé! Je me réjouis de Vos préparatifs militaires. Vous ferez la guerre avec succès et paraîtrez sur le théâtre du monde comme Vous le devez. Dites-moi un mot sur le nouveau boulet. Le canal que j’ai indiqué à Gessler est sûr.
Votre Parrot
165. G. F. Parrot à Alexandre IER
Dorpat, 4 avril 1811
Lorsque je Vous écrivis, mon Bien-Aimé, ma dernière lettre (celle qui contenait un petit traité sur les boulets de canon) je ne savais pas encore que Vous aviez décidé le différend concernant les pensions de nos orphelins en faveur de l’Université1. J’ai reconnu à cette décision Votre justice et surtout Votre cœur. Recevez les remerciements du mien qui n’est jamais plus heureux que quand il a à Vous remercier, quand il se sent attaché à Vous par de nouveaux liens. Vous sentirez la profonde vérité de ce sentiment en jetant un coup d’œil sur le passé, sur les 9 années des relations intimes où Vous m’avez placé vis-à-vis de Vous. Pendant ce long période tout a changé autour de nous. Nous seuls nous sommes restés fidèles, malgré tant d’orages qui s’élevaient entre Vous et moi. Vous avez le mérite de cette constance, mérite si rare dans un Monarque quand son soi-disant ami n’est pas un adulateur! Ce sentiment doit Vous faire plaisir et c’est pour moi une grande jouissance de Vous le rappeler.
Votre situation politique m’inquiète. Vous voyant Vous préparer si sérieusement à la guerre j’avais compté que la suite de ces préparatifs serait la publication d’une paix générale de Votre côté et de l’ouverture de Vos ports à toutes les nations. Mais Vous paraissez avoir pris une maxime contraire. Je comptais sur cette démarche non parce que tout Votre Empire l’espérait, mais parce qu’elle Vous est nécessaire, et que c’est le dernier moment de la faire avec avantage. Le cours de Votre papier tombe de nouveau et rapidement; par conséquent la valeur de Vos revenus; par conséquent le nerf de Votre force militaire. D’un autre côté Napoléon finira par subjuguer l’Espagne et le Portugal, quelque mal que puissent aller ses affaires, et quand il aura achevé au Sud-Ouest, il aura toutes ses forces pour agir au Nord-Est. Car d’après les calculs les plus probables la guerre d’Espagne ne lui coûte annuellement qu’environ 100 000 hommes, et sa conscription annuelle, sans ses dernières acquisitions, se monte à 80 000 hommes. Ainsi par cette guerre il n’a perdu réellement que 100 000 hommes, perte qu’il peut réparer aisément par une conscription extraordinaire. Si Vous Vous déclarez dans ce moment il ne peut Vous faire la guerre sans s’affaiblir des 200 000 hommes de ses meilleures troupes qu’il a en Espagne et en Portugal, et Vous êtes d’autant plus fort contre lui. S’il attend la fin de la guerre du Sud-Ouest (à quoi il sera forcé vraisemblablement par ses finances) pour Vous attaquer avec toutes ses forces, Vous avez tout ce temps pour Vous renforcer <militairement et surtout> par le commerce qui doublera la valeur présente de Votre papier et Vous apportera du numéraire. Ainsi la chance est pour Vous si Vous hâtez, contre Vous si Vous reculez l’époque de Votre déclaration.
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