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Vous m’avez donné une maxime qui m’a fait un plaisir infini. Elle est d’une vérité frappante. «Ce sont précisément les événements qui éprouvent l’homme lui-même». Une confiance immodérée en ses propres forces, la présomption, pour m’exprimer simplement, est une partie marquée du caractère de notre siècle. J’ai droit de le dire parce que je ne fais pas d’exception pour moi-même. Je me suis plus d’une fois surpris à ce défaut, qui me vient de la nécessité où je me suis constamment trouvé de payer de ma personne. On se fie trop facilement à soi-même lorsqu’on est persuadé de sa bonne volonté, et cette confiance immodérée a souvent coûté à tel honnête homme sa moralité parce que pour arriver à ses fins qui étaient bonnes en soi, il est devenu facile sur les moyens, faute de force pour y arriver en droiture. Jusqu’à présent je n’ai pas encore fléchi sur mon principe de ne point employer des moyens ignobles même pour le plus noble but. Aussi ai-je souffert, surtout tant que mon caractère n’était pas formé.
Mais, Sire, en m’accusant moi-même de présomption ne diminue-je pas la confiance dont Vous m’honorez, surtout sur le point de ce que Vous voulez bien appeler mes offres? Je l’ignore. Mais je sais qu’il était de mon devoir d’être vrai, et je n’ai à cet égard qu’un vœu, c’est que, que Votre confiance soit grande ou petite, forte ou faible, Vous me teniez parole dès que le cas s’en présentera.
Votre second principe, que ce sont des événements qui nous apprennent à connaître ceux qui nous sont véritablement attachés, est beaucoup moins vrai que le précédent. À la vérité il paraît en découler tout naturellement. «Si nous avons besoin de l’expérience pour apprendre à nous fier à nous-mêmes, comment se fier aux autres sans le secours de ce guide éclairé?»
Ma réponse est simple: le cas est différent. Pour tirer quelque profit d’une ou de plusieurs expériences, il faut connaître parfaitement les conditions sous lesquelles elles ont eu lieu, en morale comme en physique. Or n’est-t-il pas incomparablement plus difficile de connaître ces conditions lorsqu’il s’agit de juger des actions d’autrui que quand il est question de nous-mêmes? La plus saine logique est un guide bien peu sûr lorsqu’il s’agit de déterminer les motifs d’actions qui nous sont étrangères. L’esprit d’un seul luttant contre mille autres doit s’attendre, il est vrai, à quelques victoires mais aussi à bien des défaites, et ses victoires même doivent lui paraître douteuses. Ici comme en politique on chante souvent le Te Deum des deux côtés pour la même bataille2. Mais que faire dans cette incertitude? Vous surtout, Sire, dans la position où le genre humain s’applaudit de Vous voir, Vous souffrirez de votre principe et de mon commentaire. Je ne connais point d’état pire que celui de l’incertitude, parce qu’il paralyse l’homme fort, le rend l’esclave de l’avenir auquel il aurait le droit de commander. Mais, qui croira que la Nature ait abandonné dans quelque condition que ce soit l’homme moral à ce triste état? Il est vrai qu’elle n’a ni dû ni pu calquer l’homme sur le monarque. Mais si son ouvrage est parfait, le monarque doit se retrouver dans l’homme, surtout dans l’individu de qualités supérieures; il n’y a que le méchant qui fasse exception dans quelques conditions qu’il se trouve. Vous possédez, Sire, à un degré éminent, le secret qu’il Vous faut, celui de lire dans le cœur de l’homme par le sentiment. Le besoin Vous a forcé plus d’une fois d’en faire usage, et si Vous avez eu soin d’affranchir chacun de Vos jugements de toute influence étrangère au sentiment, sûrement Vous ne Vous serez pas trompé. Il n’y a que les jugements mixtes qui puissent être incertains. Un cœur pur nous conserve, dans toute son intégrité, ce tact délicat dont la nature nous a doués pour reconnaître nos semblables. Veuillez, Sire, lire dans les Abderites de Wieland le chapitre intitulé: le cosmopolite. C’est un traité charmant sur cette matière, qu’on ne cherche pas dans cet ouvrage3. Vous y trouverez bien des raisons de Vous fier à ce tact précieux qui compense des siècles d’expérience et nous fait pour ainsi dire participer à la toute science qui est l’apanage de la divinité.
Ce guide, sur la nature duquel la philosophie ne nous a encore rien dit de satisfaisant, est infiniment plus sûr que l’expérience et le raisonnement – vassaux de notre faiblesse et fauteurs de la défiance. Le sentiment au contraire qui réside dans l’homme pur ouvre son cœur à la confiance ou l’arme invinciblement contre l’hypocrisie.
Vous voyez un homme pour la 1re fois dans une situation importante à Vous et à lui. Il veut Vous tromper. Si c’est une tête faible, Votre regard fixe qui interroge pour ainsi dire son intérieur, le trouble, et la fraude est découverte presque avant qu’il ait parlé. S’il s’est préparé, si son cœur accoutumé à l’estime est armé contre ce regard, son maintien aura ou la gaucherie de l’homme indécis, ou le caractère vague du poltron qui se bat en retraite, ou le mielleux du flatteur ou le froid de l’homme qui a abjuré tout sentiment, ou enfin le faux air d’une franchise affectée. Quiconque est exempt de ces vices les découvre à l’instant dans autrui. Mais